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CJUE 18 déc. 2019 - C-666/18 - Violation d'une licence de logiciel

CJUE 18 déc. 2019 - C-666/18 - Violation d'une licence de logiciel

Violation d'une licence de logiciel : contrefaçon ou manquement contractuel?

Contrefaçon d'abord, manquement contractuel ensuite.

CJUE 18 décembre 2019 C-666/18, IT Development / Free Mobile


Le régime applicable en cas de violation d'une licence de logiciel, ou d'un contrat quelconque portant sur un droit de propriété intellectuelle, est un enjeu juridique et stratégique primordial. Qualifiez cette violation de contrefaçon et le Code de la propriété intellectuelle s'appliquera de toute sa force, avec sa multitude de dispositions dérogatoires. Qualifiez cette violation de manquement contractuel et le droit civil des contrats s'appliquera dans sa relative liberté.

Modalités de calcul des dommages-intérêts, cessation de l'illicite, mesures probatoires, juridiction compétente, loi applicable… telles sont les quelques incertitudes soulevées par la situation du contrefacteur cocontractant et pour lesquelles la CJUE vient apporter quelques réponses en faisant prévaloir la qualification de la contrefaçon.

En 2010, la société IT Development a consenti à Free Mobile une licence sur un logiciel. Reprochant à son licencié d'avoir modifié son logiciel, le titulaire des droits l'assigne devant le TGI de PARIS, au titre de la contrefaçon, en se fondant sur le non-respect du contrat de licence qui interdit expressément « de reproduire, directement ou indirectement, le progiciel, de décompiler et/ou d'effectuer des opérations de rétroingénierie sur ce dernier… ».

Par jugement du 6 janvier 2017, le TGI de Paris déclare irrecevables les demandes de la société IT Development, lesquelles étaient fondées sur des manquements contractuels, exclusifs des faits délictuels de contrefaçon de logiciel.

Le TGI de Paris a fait le choix de faire prévaloir la responsabilité contractuelle sur l'action en contrefaçon, là où une étude de la jurisprudence en la matière montre que les juridictions s'en tenaient généralement au choix du demandeur de se fonder sur l'action en contrefaçon ou sur la responsabilité contractuelle. Il en découlait ainsi un calcul stratégique à opérer avant d'entamer son action contre son cocontractant indélicat.

La Cour d'appel de Paris qui recueille le contentieux pose alors opportunément une question préjudicielle :

« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d'un contrat de licence de logiciel (par expiration d'une période d'essai, dépassement du nombre d'utilisateurs autorisés ou d'une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :
– une contrefaçon (au sens de la directive [2004/48]) subie par le titulaire du droit d'auteur du logiciel réservé par l'article 4 de la directive [2009/24] concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur
– ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ? »

La réponse de la CJUE se fait en deux temps.

D'une part, sur la notion de contrefaçon.

La Cour rappelle d'abord que l'analyse de la Directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle s'applique à « toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle ». L'adjectif « toute » implique que l'ensemble des atteintes à un droit de propriété intellectuelle sont concernées, y compris lorsque l'atteinte résulte d'un manquement contractuel.

Ainsi, la violation d'une clause d'un contrat de licence d'un programme d'ordinateur portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d'auteur de ce programme relève de la notion d'« atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48. Il s'agit donc bien d'un acte de contrefaçon.

Nul doute que cette solution s'appliquera à tous les droits de propriété intellectuelle puisque le raisonnement est fondé sur la Directive de 2004.

D'autre part, sur le régime juridique de cette contrefaçon du cocontractant.

La CJUE apporte une précision sur le régime juridique applicable à la contrefaçon de ce licencié en indiquant que les États membres sont libres de mettre en place des régimes particuliers, notamment un régime propre à la contrefaçon du cocontractant. La seule limite est que ce régime particulier doit assurer les protections établies par la directive 2004/48.

La Cour n'en dit pas plus puisqu'il reviendra aux juridictions françaises de faire l'essentiel du travail : la création de ce régime spécifique de la contrefaçon du contractant.

Les premières pistes de ce régime peuvent se trouver sur les modalités de calcul des dommages-intérêts. Il serait possible d'exclure les modalités de calcul avantageuses prévues par le CPI pour appliquer les clauses contractuelles. Il faudra cependant éviter les clauses exclusives de responsabilité. Dans un tel cas, on pourrait considérer que les protections établies par la Directive de 2004 ne sont pas respectées.

Si le régime est à construire, les stratégies procédurales et les négociations contractuelles doivent d'ores et déjà s'adapter.

Le Cabinet est à votre disposition pour en échanger.

Me Mickaël Macé

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